Le Monument de la Réforme à Genève: une oeuvre d'envergure internationale

Si vos pas vous ont déjà mené à Genève, peut-être avez-vous traversé le parc des Bastions et vous êtes-vous retrouvé devant cet impressionnant mur de 120 mètres de long à contempler ces larges silhouettes à l’allure si imposante voire martiale.

Peut-être alors vous êtes-vous demandé le pourquoi, le quoi et le comment d’un monument d’une telle ampleur?

En voici les grandes lignes, à commencer par les évènements qui ont présidé à sa création.

Dès 1902, pour commémorer le 400ème anniversaire de Jean Calvin qui aura lieu en 1909, le théologien Auguste Chantre lance l’idée de réaliser un monument à la gloire du réformateur.

Cette idée est consolidée par la création en 1904 d’un comité provisoire, puis en 1906 de l’association du monument de la réformation qui organise l’année suivante un concours ouvert aux artistes, sans limite de nationalité ou religion.

En 1908 et 1909, le jury international confiera le projet aux architectes suisses : Eugène Monod, Alphonse Laverrière, Jean Taillens, Charles Dubois et aux sculpteurs français: Henri Bouchard et Paul Landowski.

Le projet (coût 720 000 CHF) sera financé par souscriptions privées, les genevois à hauteur de 67%, les contributions étrangères pour le restant.

Le monument sis à la promenade des Bastions est construit en pierre de Pouillenay, carrière se situant en Fanche-Comté, qui a l’indéniable avantage d’une certaine proximité avec le chantier.

Choix qui s’avèrera particulièrement pertinent eu égard aux dimensions remarquables de l’oeuvre:

Hauteur : 8 mètres

Longueur : 120 mètres.

Le choix du lieu fut âprement bataillé, mais les dimensions considérables prévues pour le monument ne laissaient pas tant d'issues. Le Jardin Botanique, qui occupait la promenade des Bastions, ayant déménagé en 1904, le conseil municipal accepta de mettre à disposition ce lieu pour l’érection du monument.

Le monument se compose comme suit :

– Le groupe central des 4 réformateurs (Haut. 6 m. chacun) ayant oeuvré à Genève, vêtus d’ailleurs de la robe de Genève (ou robe académique) et tenant la Petite bible du peuple chrétien à la main :

Il s’agit de Jean Calvin, Guillaume Farel, Théodore de Bèze et John Knox, sculptés conjointement par les deux sculpteurs;

– De part et d’autres, les 6 hommes d’état pionniers ou ayant défendu la Réforme en Europe et aux Etats-Unis (Haut. 3 m. chaque):

Coligny (Sculpteur : P.Landowski ou PL), Guillaume le Tacitune (PL), Le Grand électeur (Sculpteur : H.Bouchard ou HB), Roger Williams (HB), Olivier Cromwell (HB), Istvan Bocksay (PL).

– En alternance, des fresques relatant les moments historiques, traités en bas-relief (Haut. 1,30 m, Larg : 4 m) : Premier prêche de Viret (HB), Knox à Saint-Giles (PL), signature de l’édit de Nantes par Henri IV (HB), la Déclaration d’indépendance des Provinces-Unies (HB), l’Edit de Postdam (PL), le Pacte du Mayflower (PL), la Déclaration des Droits des anglais (PL), la diète de Kassa et la paix de Vienne (HB).

Vue d’ensemble des sculpteurs, Henri Bouchard et Paul Landowski, sur l’échafaudage,1914

Photo : Roubaix, La Piscine-musée d’art et d’industrie André Diligent

PH 2410 © Alain Leprince (DR)

La pose de la première pierre eut lieu en avril 1909, mais les grèves des maçons, la rigueur iconographique de l’historien Charles Borgeaud en charge de ce poste, rendant ainsi la tâche et le cahier des charges des artistes plus contraignantes, les délais plus importants impartis aux contributions étrangères et évidemment la 1ère Guerre Mondiale, ont beaucoup retardé les travaux qui ne seront rendus qu’en 1917.

L’inauguration aura lieu le 7 juillet 1917, il y a donc aujourd’hui plus de 100 ans.

Ce résumé permet de dégager quelques points remarquables:

Jean Calvin, une des figures dominantes de Genève, n’est représenté dans la bien-nommée Cité de Calvin, que sur un seul et unique monument public : le mur des réformateurs.

Bien qu’il y soit à l’honneur avec ses 6 mètres de hauteur, il n’y est point seul, car de genèse commémorative cette oeuvre est rapidement devenue emblème politique et non plus seulement religieux. En témoigne premièrement le choix iconographique : en dehors du groupe central, les textes mentionnés sont des textes politiques et les personnalités latérales ne représentent que des hommes politiques ou militaires ayant tous défendu une certaine forme de démocratie à travers la défense de la Réforme.

Car c’est bien de cela dont il s’agit :

de Démocratie dont on veut montrer que la Réforme était un des vecteurs.

Et le choix des personnages particulièrement tourné vers l’international, le seul réformateur stricto sensu suisse, Pierre Viret, étant par ailleurs sensiblement absent, tend à conforter le fait qu’il s’agit bien plus de célébrer le rayonnement de l’action de Jean Calvin et de son oeuvre que le personnage religieux.

Ce faisant, il devait être également question de satisfaire ses voisins puissants, que ce soit la France avec Coligny, ou l’Allemagne avec Frédéric-Guillaume de Brandebourg.

On peut en revanche s’étonner de la présence de certains personnages tels Bocksay, mais comme le mentionnera Landowski dans ses notes du 8 juin 2016:

« Etrange idée d’avoir donné dans ce monument tant d’importance à ce hongrois (Boscksay). Une statue et un bas-relief (….) la raison en serait que la Hongrie a envoyé beaucoup d’argent pour le monument et il a fallu la servir en conséquence »

Il n’est nul besoin de rappeler le talent des architectes de cette oeuvre, qui construisaient d’ailleurs la gare de Lausanne à la même époque, comme il n’est pas non plus utile de rappeler les nombreuses distinctions de nos deux sculpteurs français.

Toutefois, il nous faut remarquer la stylisation radicale adoptée ici par ces derniers, radicalité, qui en dehors du parti pris stylistique d’une grande modernité, a sans doute été poussée à son paroxysme par la verticalité de l’oeuvre et par ce que la nature du bas et haut relief offre en terme de frontalité.

Stylisation que Landowski reprendra 15 ans plus tard avec autant de modernité et de brio, pour élever le Christ Rédempteur de Rio de Janeiro, d’une hauteur de 38 mètres !

connue également sous l’appellation du Corcovado du nom du mont sur lequel il est érigé.

Quant à la technique :

Bouchard et Landowski étaient modeleurs, comme la plupart des sculpteurs, et afin de ne pas être freiné dans leur élan créateur, sachant toutes les difficultés et aléas inhérents à l’abord de la pierre, ils avaient recours à la méthode de la mise au points (reports de points et utilisation du compas) d’après le plâtre original.

Ils créaient leur modèle en terre glaise en vue de la pierre, le moulait en plâtre, faisait éventuellement dégrossir la pierre par un artisan spécialisé le « metteur aux points » qui s’arrêtait quelques millimètres avant la fin et finissaient eux-mêmes.

Quelques exemples remarquables de ces plâtres originaux ont été conservés et font partie désormais des collections du Musée d’Art et d’Histoire, ainsi du plâtre de Coligny et de Guillaume le Taciturne.

Enfin, ce monument est le symbole même au niveau artistique de la collaboration alors fructueuse et qui allait de soi entre les architectes et les artistes autour de valeurs communes, et de la collaboration tout aussi fructueuse entres artistes suisses et étrangers.

Le merveilleux oeuvre qu’est le mur des Réformateurs ne peut alors que servir d’exemple, car la participation active d’artistes étrangers n’a toujours fait qu’enrichir notre patrimoine suisse et donner une lisibilité très internationale à notre cité et confédération ainsi que sa culture, tout à l’honneur d’une époque regrettée où la restriction volontairement nationaliste n’était pas de mise.

Lorraine Aubert