Marlborough par Erich Hermès

Erich Hermès (1881-1971), Marlborough s'en va-t-en guerre, 1908 (détail)

En 1908, à 27 ans, Erich Hermès a déjà un joli palmarès derrière lui. Doté de multiples prix et bourses divers, de retour à Genève après une période consacrée aux voyages l’ayant mené à Paris, en Allemagne et en Italie, Erich Hermès se voit confier d’importantes commandes tant privées que publiques.

C’est dans ce contexte fertile que l’artiste nous livre un projet qui résume ses influences hodlériennes, la puissance de son expression esthétique, sa sensibilité à la relation Beaux-Arts et Arts appliqués dont il réfute la distinction et son goût pour les contrastes de couleurs qui marqueront durablement son oeuvre.

L'oeuvre fut commandée par la famille Wanner:

Soit par Isaac-Félix Wanner pour orner un élément architectural de la villa La Belotte à Cologny, propriété réalisée par Maurice Braillard,

Soit par son frère André-Louis pour La Gradeline, sise au 35, chemin de la Gradelle.

Cette maison sera transmise ensuite au fils de ce dernier, Max-Edmond Wanner, qui en réalisa les délicates oeuvres d'art appliquées Art déco appartenant depuis peu aux collections du Musée d'Art et d'Histoire.

Toutefois, à ce jour, rien ne permet, de façon absolue, de percer le mystère de la destination de cette commande.

Image: La Belotte, Fred Boissonnas (DR)

Cependant, de nombreuses collaborations, tant entre Erich Hermès et Maurice Braillard, architecte de la Belotte, qu'entre Erich Hermès et Isaac-Félix Wanner, sont attestées durant la période où fut réalisé le projet, période qui fut également marquée par le début des grandes réalisations historiques qu'exécuta l'artiste.

Le projet non retenu, que nous redécouvrons aujourd'hui intacte et dans son état d'origine, fut conservé au n°35 chemin de la Gradelle et suivit l'histoire successorale de la maison, demeurant dans la famille jusqu'à ce jour.

La Gradeline, menacée de disparaitre suite à sa vente par les héritiers de la famille en 2022, fut construite en 1866 au chemin de la Gradelle, chemin qui sépare Chêne-Bougeries de Cologny.

Ce chalet urbain fut érigé par Monsieur Jean-Frédéric Grau, entrepreneur de charpente, sur une parcelle d’environ deux hectares acquise auprès de Madame Adélaïde Turrettini-Saladin.

Sophie Grau, la fille de l'entrepreneur, transmettra la propriété alors agrandie par son époux Monsieur Badel, à sa fille Alice Badel. Cette dernière épousera en 1908, année de réalisation du projet, André-Louis Wanner et c'est ainsi que la Gradeline entrera dans le patrimoine de la famille Wanner.

Image: la Gradeline, Fred Boissonnas, Centre d’iconographie genevoise  (DR)

Sans l'illustrer littéralement, le titre s'inspire de la célèbre comptine se référant au général John Churchill, premier duc de Marlborough, non moins célèbre personnage de l'histoire de l'Angleterre du tournant des XVIIe et XVIIIe siècle. Il prend les traits ici d'un soldat dont l'uniforme, bien que stylisé, n'est pas sans rappeler celui de la Garde Suisse du Roi de France au XVIe siècle ou encore celui de nos hallebardiers ou porte-drapeaux suisses de la Renaissance.

Erich Hermès, animé d'un sentiment national fort, a pu vouloir ici rendre hommage à ces corps militaires qui surent s'illustrer dans de nombreuses batailles historiques, que ce soit sous le drapeau des Rois de France, du Vatican, ou celui d'un de nos états.

Erich Hermès (1881-1971), Marlborough s'en va-t-en guerre, 1908

Les enseignements de Ferdinand Hodler dont Erich Hermès est encore profondément marqué en ce début de siècle est notable dans cette œuvre, que ce soit dans la délimitation des contours ou la répétition des couleurs. La figure hiératique s’inspire largement des porte-étendards peints par le maître dans ses grandes fresques, exécutées au Musée national suisse, figurant La Retraite de Marignan (1900) et évoquant la force et la puissance des valeureux Helvètes.

Si Hermès ne reprend pas littéralement l’un ou l’autre personnage hodlérien, il ne peut pas en ignorer l’existence tant la réalisation de ces fresques fera couler d’encre dans la presse nationale et dans les milieux artistiques. Ce Marlborough, réalisé quelques années après la controverse, s’inscrit dans la continuité d’un style dit national très en vogue à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Hermès transpose cependant le sujet qui n’a rien de Suisse, sans doute afin de satisfaire aux désirs du commanditaire.

La monumentalité du personnage central servie par la perspective permet d'avancer que le décor devait être vue en contre-plongée.

Lorraine Aubert

Nous remercions Monsieur Philippe Clerc pour sa participation dans la rédaction de l'historique ainsi que Madame Leïla el-Wakil pour les informations concernant l'histoire de la Gradeline mises à disposition sur son site.


Erich Hermès (1881-1971)

Marlborough s'en va-t-en guerre, 1908

Huile, gouache, traits de crayon et rehauts sur carton préparé

Mise au carreau

Signé et daté en bas à droite, titré en bas vers le milieu

Annoté au dos «n°7, E.Hermès»

79 x 75 cm

Projet pour un décor magistral destiné à une hotte de cheminée.

Provenance :

Famille Wanner, resté dans la famille depuis ce jour.

Historique :

L'état actuel de nos recherches et la provenance nous indiquent que notre œuvre est un projet de décor commandité par la famille Wanner, commande à priori non aboutie.