1920-2020: La ruée vers l’art

Le débat est lancé:

Les années Post-Covid ressembleront-elles aux années 1920, aux années folles ?

Verrons nous à nouveau un rythme de vie endiablé, une création tout azimut ?

Après l’épidémiologie, la prospective économique et sociale semble être la nouvelle passion de la presse.

Il ne s’agit pas pour nous de trancher un débat que seul le marc de café pourrait régler.

En revanche,  les similitudes entre les deux époques sont riches d’enseignements et permettent d’imaginer notre rapport à l’art et l’évolution de notre futur « art de vivre » post-Covid.

A gauche: Henry Ford avec la ford T et le Quadricycle de 1896, image vraisemblablement vers 1905.(DR) Ford Motor CompanyA droite:  Spaceman dans la roadster Tesla, Image (DR)

A gauche: Henry Ford avec la ford T et le Quadricycle de 1896, image vraisemblablement vers 1905.

(DR) Ford Motor Company

A droite:  Spaceman dans la roadster Tesla, Image (DR)

 A Washington, le 4 mars 1921, le 29e président des Etats-Unis prête serment, son prédécesseur, fait exceptionnel, n’assiste pas à la cérémonie (pour des raisons de santé).

Cette cérémonie n’est pas sans rappeler l’investiture de Joe Biden, le 21 janvier 2021, également en l’absence du président sortant.

L’histoire se répète-t-elle ?

Au-delà  de ce fait marquant,  ces deux décennies présentent des similarités remarquables:

Après le choc et les cicatrices de la Grande Guerre, les années 20 ont vu un changement sans précédent dans la vie de l’homme désormais «  moderne » : la mécanisation du travail et les chaines de montages, l’électrification et les appareils ménagers qui ont propulsé la vie quotidienne hors des foyers: 

Une croissance et une frénésie qui verra naître l’Art Déco, Gatsby le magnifique, le Jazz…. 

En 2020, qui voit naître l’ère Covid, nous sommes témoins de la numérisation de presque toutes les activités humaines. 

Une croissance future attendue, portée par les avancées en biotechnologies et par l’économie numérique, sera-t-elle le moteur d’une frénésie créatrice ?

Selon Nicholas Christakis sociologue américain “toutes les tendances visibles aujourd’hui vont s’inverser : dans un avenir proche, discothèques et stades feront le plein, et le monde des arts connaîtra une prolifique renaissance. Ce regain pourrait aussi passer par un grand moment de ‘libertinage sexuel’, d’extravagance dépensière et de recul de la religiosité

Après une privation de contact social, physique et artistique, allons nous assister à une fuite en avant et vers l’autre pour rattraper le temps perdu ?

Un futur que nous laisse entrevoir les campagnes de vaccinations actuellement en place. Elles nous promettent un avenir plus radieux.

Les marionnettes, 1918. photo: Julian Salinas (DR)Sophie Taeuber-Arp Abstraction vivante, 20.03.–20.06.2021, Kunstmuseum Basel

Les marionnettes, 1918. photo: Julian Salinas (DR)

Sophie Taeuber-Arp 

Abstraction vivante, 20.03.–20.06.2021, Kunstmuseum Basel

La visite de L’exposition « Sophie Taeuber-Arp » qui ouvre ce week-end au Musée de Bâle relève du fantasme le plus indécent.

Nous y courrons dès l’ouverture avec toutefois une réticence et non pas des moindres:  

Les confinements ont marqué nos esprits et nos corps: nous prenons en compte, même inconsciemment, la notion de risque encouru avant chaque action: 

Chaque activité même anodine nous demande de résoudre une savante équation « risque/gain ».

Ce risque semble absent aux yeux des collectionneurs lors de leurs visites ou acquisitions d’art digital:

Comme en 1920 -  en simplifiant ce mécanisme à l’extrême - la croissance économique qui a permis ce renouveau est la conséquence de progrès techniques implémentés dans toutes les branches de la société.

Ces progrès techniques, comme aujourd’hui, ont de fait maturé pendant des décennies avant que la guerre ou la crise n’accélère leur mise en application.

Michael Joseph Winkelmann (Beeple), né en 1981Everydays: the First 5000 Days, Image JPEGVendue par Christie’s $69,346,250 le 11 mars 2021, image (DR)

Michael Joseph Winkelmann (Beeple), né en 1981

Everydays: the First 5000 Days, Image JPEG

Vendue par Christie’s $69,346,250 le 11 mars 2021, image (DR)

C’est en effet ce qui semble s’opérer avec l’évolution de l’art digital, jadis niche réservée à une élite techno se cherchant un modèle tant technique qu’économique ou financier.

Aujourd’hui, la phase d’expérimentation semble dépassée comme le montre les résultats des ventes multi plate-formes des oeuvres ces derniers mois.

Nous assistons à un raz-de-marée de très jeunes collectionneurs, moins de 40 ans en moyenne, se ruant sur des artistes qui n’avaient jusque-là pas encore de marché.

Ici, on achète une oeuvre immatérielle, le risque bactériologique est nul: pas de déplacement pour voir l’oeuvre, pas de transport, un paiement également dans « l’ether ».

Il n’y a pas de virus dans un ordinateur… dit-on.

Les arts décoratifs, l’architecture et le mobilier sont également concernés par cette évolution imposée: 

L’année 2020 a vu le rapport entre l’homme et son lieu de travail voler en éclat:

La numérisation et la miniaturisation de l’électronique opérés depuis les années 90 nous permettent de disposer dans notre poche d’une puissance de calcul et de traitement supérieure à celle de tout un secrétariat.

Se pose alors la question de l’intérêt à se rendre sur le lieu de travail en dehors des problématiques de production artisanale ou industrielle.

Paul de Nooijer, né en 1943Electriclawnmowingiron, 1977Epreuve gélatino-argentique et coloriage à la main, 40 x 30 cm env., Image (DR)

Paul de Nooijer, né en 1943

Electriclawnmowingiron, 1977

Epreuve gélatino-argentique et coloriage à la main, 40 x 30 cm env., Image (DR)

Le télétravail qui a déjà été mis en place, s’est imposé presque immédiatement, et a achevé de redéfinir la spécificité des lieux selon leur affectation, tradition héritée de la révolution industrielle:

  • un endroit pour travailler,

  • un endroit pour dormir,

  • un endroit pour manger,

  • un endroit pour éduquer les enfants….

Désormais,

  • le bureau est à la maison,

  • la table à manger sert de pupitre pour les enfants,

  • les écrans sont omniprésents.

  • la cuisine est en sommeil, l’activité est réduite à conserver et réchauffer des plats livrés par les restaurants fermés au public.

  • le salon de reception, qui ne peut plus recevoir, est remplacé par une misérable image des Maldives sur un fond vert pour les visioconférences.

L’oeuvre digitale est très à son aise dans un intérieur indéfini, elle n’a que faire d’être accrochée en trophée au-dessus de la cheminée.


Les designers et artistes actuels effleurent à peine les conséquences de cette évolution qui touche le mobilier et les oeuvres avec lesquels nous vivons.

La destination des objets et leur utilisations leur offrent un terrain de jeu infini pour repenser notre façon de vivre et de partager.

Allons nous assister à un renouveau frénétique de la création dans l’architecture et le mobilier ?

La Mode est également affectée par ce trou d’air:

Les maisons de couture ont vu leur défilés annulés ou se dérouler sans audience physique, leurs clients ne sortant plus de chez eux.

Le nouvel usage vestimentaire est le haut de costume ou de tailleur désassorti d’un bas de jogging hors-champ de caméra.

La liberté retrouvée, l’habillement sera-t-il encore strict et codifié par opposition au confort négligé des tenues d’intérieur, hélas tant appréciées.

Là encore, la mode opère un renouveau comme l’a annoncé la Maison Armani lors de la présentation de sa collection automne-hiver 2021-2022:

Vous rêvez de vous mettre sur votre trente et un, mais rechignez à renoncer au confort de la tenue d’intérieur ?, Giorgio Armani a pensé à vous. » indiquait le communiqué de presse.

Au-delà de leur caractère d’accélérateur, les crises peuvent être révélatrices d’une certaine forme de prise de conscience: 

une mise à plat des priorités pour certains,

un besoin de renouveau pour d’autres,

une nécessité de revenir à ses fondamentaux pour d’autres encore. 

L’art suit la même déclinaison. 

Si le digital, devenu maître mot aujourd’hui, permet une évolution marquée et remarquée, c’est également devenu un outil permettant de faciliter l’accès à l’art, à son marché et d’ouvrir le champ géographique et culturel de ce dernier. 

Et si la création de chaque époque a toujours intégré les dernières innovations et progrès scientifiques, car finalement, c’est bien son rôle que celui de s’approprier les sujets les plus réels et actuels de son temps, l’art n’a jamais que joué le rôle de mise en perspective, parfois, de mise en abîme.

La frénésie créatrice des années 20, qui a vu émerger différents nouveaux styles dans toutes les disciplines artistiques, a permis de nouvelles perspectives, de nouvelles opportunités, comme l’art digital crée aujourd’hui une nouvelle forme de réflexion. 

Cette réflexion ne se fait pas à l’exclusion des formes d’art ou de support existants. 

Bien au contraire, elle apporte à tous les niveaux une perspective d'ouverture:

plus qu’une mutation, un éclairage. 

Karl Lagerfled avec Inès de la Fressange au studio Chloé, Paris, 1983Photographie: Pierre Vauthey (DR)

Karl Lagerfled avec Inès de la Fressange au studio Chloé, Paris, 1983

Photographie: Pierre Vauthey (DR)

Quant à la mode, vivement le retour des collections, l’élégance, quelque soit sa forme est immuable: 

Les pantalons de jogging sont un signe de défaite”  Karl Lagerfeld 

Bruno Jansem

Notre titre « Ruée vers l’Art » est tiré de l’article de Rosa Ruelo dans Visao, 18 février 2021, Lisbonne.

Article s’interrogeant sur les changements sociétals  post-Covid.