Siegfried Bing, du Japonisme à l'Art Nouveau, 1ere partie

Après la Jamaïque, place au Japonisme et son influence sur les arts occidentaux à la fin du XIXème siècle et tournant du XXème siècle. 
Sujet traité en deux parties tant sur le rôle prédominant de Siegfried Bing dans le rayonnement du japonisme en Occident d’une part, que dans l’avènement de l’Art Nouveau d’autre part.
Première partie ci-dessous, deuxième partie lundi. 

Nous vous souhaitons une bonne lecture.

Lorraine et Bruno

Le Japon Artistique, n.20, dec 1899

La société Bing, affaire familiale d’import-export créée à Hambourg en 1823, installera un office à Paris dès 1847. Malgré quelques revers liés à une actualité marquée par les crises financières et les guerres de Crimée et franco-prussienne, la société fleurira durant toute la seconde partie du XIXème siècle, accompagnant la montée en puissance d’une bourgeoisie en quête de confort matériel, révélant ainsi un intérêt grandissant pour les arts appliqués. 

Deux clés à ce succès: la fabrication d’objets de luxe de qualité, céramique et autres objets d’arts décoratifs, et la production en quantité suffisante pour rester commercialement viable. 

Mais la particularité de cette enseigne demeure dans l’intérêt passionné de Siegfried Bing, et avant lui de son père, pour les arts d’extrême-orient en général et japonais en particulier.

Siegfried Bing, naturalisé Français en 1876, arrive en France 22 ans auparavant pour aider son père à diriger la société. Il en reprendra les rennes en 1873 après le décès de son père et de son frère ainé. 

Négociant habile et connaisseur en art, S Bing, comme on le nommera désormais, s’illustre dans l’import d’une esthétique japonisante nommée plus tard Japonisme par le critique d’art Philippe Burty, et dont on ne peut défaire le vocable de celui de l’Art Nouveau.

Mais n’allons pas trop vite. 

Siegfried Bing, Louis Gonse, Mme Koechlin, Madame Gonse et son fils, 1899
Musée le Vergeur, Reims (DR)

D’abord importateur d’objets japonais pour son propre compte, ce qui lui permet d’alimenter et de renouveler une collection dont il vend aux enchères les pièces les moins rares, S Bing développera ses liens avec le Japon par des séjours réguliers et des partenariats consolidés afin de répondre à la demande d’une clientèle, de plus en plus nombreuse, désireuse d’acquérir des objets d’art extrême-orientaux. 

Nous sommes à l’heure de l’ouverture du Japon de l’ère Meiji, qui met fin dans les années 1860 à sa politique isolationniste, le sakoku: l’Occident découvre alors l’art et les us et coutumes nippons qui se dévoilent à travers les Expositions Universelles à Paris ou à Londres, devant un public féru et admiratif d’un vocabulaire formel et décoratif nouveau.

Kushi, 19e siècle, ivoire ajouré teinté, laque, or, armature en cuivre doré et gravé
13,7 x 4 cm, Achat Siegfried Bing, MAD, Paris, inv. 7421 (DR)

Nouveau en effet, et S Bing en a bien conscience. 

Ayant consolidé un véritable empire autour du commerce d’oeuvres d’art entre la France et l’Extrême-Orient, S Bing  participe pleinement au développement et à la connaissance du style et influence dans les arts de son temps, permettant aux créateurs de France et d’ailleurs de se dégager ainsi des styles historiques. 

Ainsi de l’ouverture en 1881 de trois nouveaux points de vente, 13, rue Bleu, 19, rue de la Paix, et 23, rue de Provence à l’angle du magasin historique du 19, rue Chauchat;
Ainsi dès 1887, de l’ouverture au Japon de nouveaux bureaux ayant pour action principale la vente de produits français assurant une implantation croisée;
Ainsi également de la création dès 1888 de la revue mensuelle internationale « Le Japon artistique. Documents d’art et d’industrie. », et de l’organisation d’expositions itinérantes d’objets japonais partout en Europe et aux Etats-Unis.  

Paris Illustré, 1886, Estampe de Kesai Eisen

Et si la passion de S Bing pour les arts asiatiques ne faiblira jamais, elle ne l’empêchera pas d’être toujours à l’affut des transformations et renouveaux artistiques. A ce titre, l’intérêt croissant qu’il porte pour l’Amérique, avec laquelle il aspire à créer des liens, atteste de son goût pour la nouveauté.

Vincent Van Gogh, La courtisane, 1887, d'après Kesai Eisen,
Musée Van Gogh, Amsterdam (DR)

Bing a en effet une conscience aiguisée de la nouvelle prédominance des arts appliqués en Amérique, pressentie à l’exposition universelle de 1889, et des manifestations de l’avant-garde belge telles que les expositions de la libre esthétique ou la création de la Maison d’Art de la Toison d’or à Bruxelles, qui accélérera la réforme à laquelle il aspire désormais. 

Son partenariat avec Louis Comfort Tiffany depuis 1894 en est la démonstration la plus remarquable et participera à la transformation de son magasin du 22, rue Chauchat en galerie dédiée à l’Art Nouveau.


Lorraine Aubert

Henri de Toulouse Lautrec en Kimono
par Maurice Guibert, circa 1887 (DR)