Panorama de la sculpture animalière des XIXe et XXe siècles, seconde partie

Seconde partie:

L'apprentissage de l'anatomie

et du mouvement de l'animal

Eadweard MUYBRIDGE (1830-1904), Zoopraxiscope, image (DR)

Eadweard MUYBRIDGE (1830-1904), Zoopraxiscope, image (DR)

L'émergence au XIXe siècle des parcs et jardins zoologiques va rendre nombre d'espèces animales beaucoup plus accessible à l'oeil humain, que ce soit celui du promeneur, du scientifique ou de l'artiste. C'est grâce à cette accessibilité qu'il est désormais possible de mieux étudier, observer, cerner et comprendre l'animal, d'exercer son empathie envers lui.

Avant l'existence des parcs zoologiques, les animaux sauvages et/ou exotiques ne sont connus qu'à travers les ménageries du roi, quelques exhibitions d'animaux sauvages dans les rues de la capitale au XVIIIe siècle et l'art livresque tels que récits classiques dont ceux de Pline l'ancien, bestiaires, livres d'heure, etc...

Si la ménagerie du jardin des plantes existe depuis la fin du XVIIIe siècle, c'est bien le XIXe siècle qui voit naître et proliférer les parcs et jardins zoologiques ainsi que les expositions universelles, lieux par excellence de démonstration du vivant, homme ou animal, venu notamment des lointaines contrées exotiques.

Le Crystal Palace, Londres, Exposition de 1851, image (DR)

Le Crystal Palace, Londres, Exposition de 1851, image (DR)

Les expositions universelles sont en effet légion au XIXe siècle, que ce soit à Londres (1851-1862), Paris (1855-1867-1878-1889-1900), Vienne, Philadelphie, Melbourne, Barcelone, Chicago ou Bruxelles. Un des principaux objectifs des pays occidentaux participants est d'y démontrer pour ne pas dire étaler leurs innovations technologiques, scientifiques, innovatrices, etc.. tous domaines confondus et ainsi affirmer aux yeux de tous leur puissance économique, commerciale et politique, et donc à cette époque, colonialiste.

Y sont alors déployés avec force démonstration non seulement les toutes dernières découvertes issues du progrès mais également une faune exotique jusqu'alors méconnue qu'iront visiter avec engouement le plus grand nombre.

Cette tendance s'accompagne alors de l'ouverture de parcs zoologiques qui s’étendent partout en Europe: Londres (1828), Anvers (1843), Berlin (1844), Budapest (1866), Bâle, (1874), Barcelone, (1892)...

A Paris c’est le jardin d’acclimatation et le jardin des plantes qui auront les honneurs des familles à la découverte de cette faune sortie des livres pour se déployer en chair et os sous leur yeux.

La cage aux fauves du Jardin d'acclimation, Le petit Journal, image (DR)

La cage aux fauves du Jardin d'acclimation, Le petit Journal, image (DR)

Le jardin d'acclimatation, créé dans le bois de Boulogne en 1852 et ouvert en 1860, est également un lieu d'exposition des animaux. Son but comme son nom l’indique est, je cite: « favoriser l’introduction, l’adaptation et la domestication des espèces animales et végétales venues des civilisations les plus lointaines en recréant artificiellement leur milieu naturel »

L'objectif s’il est donc scientifique et éducatif est également divertissant.

Les familles viennent ainsi en masse s'extasier devant les girafes, ours, autruches, chameaux, etc...mais également devant des espèces animales européennes comme le canard, le loup, le cheval, et, entre autres, les volatiles, dont le célèbre pigeon voyageur qui se distingue lors le siège de Paris en 1870 puisqu’il permet aux parisiens de pouvoir communiquer avec l'extérieur.

Le jardin d'acclimatation devient ainsi sous le second Empire puis sous la troisième République un fleuron de la capitale, lieu d'étude et de loisirs

Les indiens Kalinas au Jardin d'acclimatation à Paris en 1892, Image (DR)

Les indiens Kalinas au Jardin d'acclimatation à Paris en 1892, Image (DR)

Pour la petite histoire, à l'heure de l'expansion coloniale, le jardin d'acclimatation deviendra également à partir de 1877 le lieu d'exhibitions ethnologiques. Seront alors exhibés des groupes humains tels que Pygmées, nubiens ou des indiens kalinas de Guyane comme ici....

La ménagerie du jardin des plantes, quant à elle, est un des plus anciens zoos du monde seulement précédée de celui Schönbrunn créé à Vienne en 1752.

Ouverte au public en 1794 suite au transfert des animaux de la ménagerie royale de Versailles et de celle du duc d'Orléans, la ménagerie du jardin des plantes accueille par la suite de nombreux pensionnaires ramenés d'expéditions, réquisitionnés à l'étranger par les armées de la Convention puis napoléoniennes ou encore offerts par les souverains étrangers. 

Les animaux sauvages exhibés jusqu'alors dans les rues de la capitales et désormais confisqués viennent encore grossir les rangs de la ménagerie. Les premiers soigneurs à y travailler ne seront autres d'ailleurs que les propriétaires desdits animaux.

Les artistes quant à eux, en quête de modèles vivants, commencent à installer chevalets, socles, plâtres et autres outils devant les enclos leur permettant ainsi de longues heures d’une étude minutieuse. 

Il est aussi pour ces derniers question de pratique: car si pour étudier la peinture académique au Louvre, les peintres n'ont besoin que peu de matériel, les sculpteurs quant à eux doivent se déplacer avec socle, terre, plâtre et outils, lourds et encombrants. 

Le Jardin des Plantes leur permet ainsi de laisser sur place ce matériel.

S’établissent, à partir de là, les prémices de l'étude anatomique de l'animal.

Les applications de cette étude sur la sculpture sont immédiats. Un sculpteur en particulier retiendra ici notre attention.

Antoine-Louis BARYE (1795 - 1875),  Lion au serpent, Epreuve en bronze,  exemplaire exécuté en 1835Haut. : 135 cm, Musée du Louvre, Image (DR)

Antoine-Louis BARYE (1795 - 1875),  Lion au serpent, Epreuve en bronze,  exemplaire exécuté en 1835

Haut. : 135 cm, Musée du Louvre, Image (DR)

Il s'agit d'Antoine-Louis Barye, représentant remarquable de cette nouvelle école de sculpture. 

Cette école qui, ayant accès désormais à l'animal vivant, peut en effet l'observer de près, notamment à la ménagerie du Jardin des Plantes tel un Barye ou encore un Delacroix.

Barye étudie l'anatomie de l'animal de façon extrêmement minutieuse, et rend une exécution précise, naturaliste. En témoigne le rendu détaillé des griffes ou des moustaches du lion, de son échine qui se tend ou se soulève à l'effort.

Toutefois, nous sommes encore à l'époque du Romantisme, exaltant le mystère et le fantastique, la sensibilité passionnée et mélancolique, cherchant l'évasion et le ravissement dans la rêverie, le sublime, l'imaginaire, l’exotisme.

Et l'animal, au-delà de sa réalité physionomique, est encore décrit à travers le prisme de ce romantisme exacerbé: on retient alors de l'animal sa sauvagerie, sa violence, notamment dans ses combats avec l'homme.

Antoine-Louis BARYE (1795 - 1875), Lion au serpent, détail, Image (DR)

Antoine-Louis BARYE (1795 - 1875), 

Lion au serpent, détail, Image (DR)

La sculpture « le lion et le serpent » inspirera à Alfred de Musset le commentaire suivant: «Le lion en bronze de Barye est effrayant comme la nature. Quelle vigueur et quelle vérité! Ce lion rugit, ce serpent siffle […]»

Bref, l'animal observé et décrit avec une réalité anatomique beaucoup plus précise mais encore perçu avec un certain parti-pris pour ne pas dire un parti-pris certain.

Cette perception va évoluer avec l'étude du mouvement que réalisent dans les années 1870, en parallèle puis de concert, le physiologiste français Etienne-Jules Marey et le photographe anglais Eadweard Muybridge, inventeurs de la chronophotographie.

L'apport inédit de Marey et Muybridge résulte de la compréhension du mouvement analysé à travers des techniques innovatrices liées à la photographie. C'est en effet en travaillant sur la décomposition de l'image en séquences que ces deux chercheurs vont, pour la première fois, découvrir la réalité du mouvement de l'animal.

Théodore Géricault, (1791-1824)Le Derby de 1821 à Epsom, Huile sur toileMusée du Louvre, inv. MI 708, Image (DR)

Théodore Géricault, (1791-1824)

Le Derby de 1821 à Epsom, Huile sur toile

Musée du Louvre, inv. MI 708, Image (DR)

A l'heure où les peintres représentent les chevaux les quatre jambes en l'air au cours des phases d'extension du galop, tel qu'on peut le voir dans le Derby d'Epsom de Théodore Géricault, Etienne-Jules Marey, passionné par la locomotion humaine et animale, souhaite démontrer par ses observations que cette position n'est en rien possible et ne dépeint aucunement la réalité physiologique de l'animal.

Le physiologiste est alors fortement décrié et les débats passionnés qui s'ensuivent conduisent le photographe Eadweard Muybridge alors entre les Etats-Unis et l'Europe et portant un intérêt égal à la locomotion, à relever le défi et prouver, à travers les techniques de la photographie, la théorie de Marey.

Grâce au mécénat de Leland Standford, milliardaire américain passionné de sports équestres, et propriétaire de purs-sang, Muybridge peut financer ses expériences qui dureront 6 ans, de 1872 à 1878.

Les travaux de Muybridge, Image (DR)

Les travaux de Muybridge, Image (DR)

Muybridge au terme de ses recherches et expérimentations, installe 12 chambres photographiques, alignées les unes à côté des autres (par la suite, il poursuivra ces expériences avec 24 chambres photographiques). Elles sont reliées chacune à une ficelle tendue perpendiculairement à la trajectoire de course. Le cheval, au galop, entraine sur son passage les ficelles qui déclenche ainsi, successivement, les obturateurs: on obtient un cliché à chaque fraction de seconde, qui mit bout à bout restituent le mouvement dans sa réalité physiologique.

Eadweard MUYBRIDGE (1830-1904), The horse in motion Image (DR)

Eadweard MUYBRIDGE (1830-1904), The horse in motion Image (DR)

Ces séquences sont ensuite intégrées (peintes) sur un disque en verre dont les images ainsi rendues, tournant, et projetées sur une surface grâce à une lanterne, nous livrent le mouvement réel du cheval. Nait alors le zoopraxiscope. 

Marey quant à lui poursuit et approfondit également ses recherches pour créer de nouveaux procédés tels que la chronophotographie sur plaque fixe.

Ces découvertes ont des applications immédiates et déterminantes.

Muybridge donne des conférences sur son travail notamment dans l'atelier de Charles Meissonnier, représentant du mouvement du réalisme historique. 

Il est même dit que le peintre modifiera en conséquence certaines de ses scènes historiques.

Edgar DEGAS (1834-1917), Cheval s'enlevant sur l'obstacle, 1881, Bronze Haut. :  26,7 cm, Image (DR)

Edgar DEGAS (1834-1917), Cheval s'enlevant sur l'obstacle, 1881,

Bronze Haut. :  26,7 cm, Image (DR)

Edgar Degas est également fortement influencé par le travail des deux pionniers. L'intérêt de Degas sur le mouvement en général et les chevaux en particulier reprend les leçons de ces recherches afin de restituer le mouvement du cheval ou plus tard des danseuses.

Il est à noter que les photos de Muybridge seront plus tard utilisées par les créateurs de dessins animés et sont encore actuellement étudiées par les professionnels équestres, notamment les entraineurs, qui s'appuient sur cette décomposition du mouvement pour comprendre comment optimiser la locomotion du cheval.

On comprendra alors l'apport extraordinaire de ces deux pionniers. Imaginez qu'avant leurs recherches, personne, ni scientifique, chercheur, sportif ou artiste ne savait ou comprenait le mouvement es animaux. Imaginez alors la contribution de telles recherches dans le domaine artistique notamment pour des artistes comme Auguste Rodin qui déploiera dans son œuvre ces récentes découvertes pour dégager alors l'expression du ressenti.

C'est ce qu'on abordera la semaine prochaine dans le troisième et dernier épisode de ce panorama de la sculpture animalière des XIXe et XXe siècle. 

Lorraine Aubert